Veille documentaire MTPH

Médecine du travail du personnel hospitalier

Les métiers de l’urgence : des stratégies défensives au-delà du genre

Auteur     Louise Saint-Arnaud
Auteur     Anne Marche-Paille
Auteur     Georges Toulouse
Volume     75
Numéro     5
Pages     516-517
Publication     Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement
ISSN     1775-8785
Date     novembre 2014
Résumé     Cet article propose une analyse des savoir-faire et des stratégies défensives de métier élaborées par les préposés aux appels d’urgence 911 pour lutter contre la peur et la souffrance dans l’exercice d’un métier de l’urgence. Le travail des préposés consiste à traiter les appels de citoyens en situation d’urgence et de grande vulnérabilité afin d’en déterminer la nature et l’urgence avant de transférer la demande aux différents intervenants (policiers, pompiers, ambulanciers, urgence santé, etc.). La confusion de l’appelant, les difficultés d’interrompre l’appelant qui raconte longuement son histoire, l’utilisation d’expressions ou de vocabulaire familier dont la signification varie du langage de référence, l’utilisation d’une langue étrangère, le risque de banaliser certains faits ou l’absence de réponse aux questions du préposé ajoutent à la complexité d’un travail où chaque seconde peut faire la différence. La prise et le traitement des appels exigent de savoir canaliser ses émotions, de prendre sur soi, de neutraliser la situation. En peu de temps, un préposé peut passer d’un état relativement passif à un état de mobilisation intense où l’adrénaline est à son maximum. C’est un travail d’écoute qui révèle la partie sombre du monde. Les voleurs, les parents négligents, les conjoints violents, les vieillards oubliés et les jeunes en mal d’être marquent leur quotidien et colorent leur vision du monde : un monde fou où l’on ne peut vivre en sécurité. C’est un travail où la peur et la souffrance sont convoquées, non seulement pour ce qu’il engage comme sentiment de responsabilité dans le traitement d’un appel, mais aussi pour ce qu’il laisse comme souvenir dans l’après-coup. Or, de nombreux travaux menés dans le champ de la psychodynamique du travail ont montré que les travailleurs avaient tendance à recourir à des stratégies collectives de défense qui consistent à opposer un déni de réalité aux dimensions du travail qui font souffrir, souvent à travers l’adoption de conduites viriles qui vont venir bannir toute expression de peur ou de ressenti de la souffrance au profit de l’endurance et du courage qui donnent l’impression d’une maîtrise symbolique du risque et permet d’évacuer la peur et la souffrance du champ de la conscience [1–4]. Ces stratégies défensives orientées du côté du déni de perception ont été largement identifiées au sein de collectifs composés majoritairement d’hommes soit, dans les métiers du bâtiment [1], chez les policiers [5,6], les agents correctionnels [7–9], les pompiers [10], les monteurs de lignes [11], les militaires (Simard et St-Arnaud, 2013), les agriculteurs [12] les médecins [13] les préposés aux pompes funèbres [14], etc. Par ailleurs, d’autres formes de stratégies collectives de défense ont été mises à jour au sein de collectifs composés majoritairement de femmes. Alors que les hommes feraient face à la souffrance et à la peur en opposant un déni du réel (idéologie de la virilité, de l’excellence, de la performance), les femmes, notamment dans le travail de soins, en viendraient à se protéger de la souffrance et de la peur sans dénier leur propre vulnérabilité par l’élaboration de stratégies collectives d’encerclement [2–4], de rapprochement et de distanciation [15]. Dans le même sens, l’étude du travail des préposés aux appels d’urgence réalisée auprès d’hommes et de femmes a permis de mettre en lumière l’élaboration de savoir-faire et de stratégies défensives de métier qui nécessite de rester en contact avec sa sensibilité et sa vulnérabilité pour mieux entendre et décoder la demande d’aide de l’appelant en situation d’urgence. Ces savoir-faire et ces stratégies défensives de métier concernent notamment : – la mise à distance des exigences émotionnelles ; – une éthique du récit comme traitement symbolique de l’expérience ; – une thérapeutique de l’humour [16]. Or, pour chacune de ces dimensions, il est possible de repérer des moments clés où le système de défense, qui laisse place au ressenti de sa propre vulnérabilité et de celle de l’autre, pourrait se rigidifier et glisser vers un mode de fonctionnement qui engage une coupure des affects et façonne le déni de la réalité.

Chercher cette référence sur : Google Scholar, Worldcat

doi:10.1016/j.admp.2014.07.014

Laisser une réponse

Vous devez etre connectez Pour poster un commentaire